Entre 2017 et 2018, une centaine de communes d’Ile-de-France et de l’Oise ont expérimenté cet outil. Selon les dizaines de rapports que nous avons consultés, elles en ont tiré un bilan plus qu’enthousiaste.
« Formidable », « efficace », « très bénéfique »… A en croire les remontées parvenues l’été dernier au ministère de l’Intérieur, les policiers municipaux qui ont épinglé une caméra-piéton à leurs uniformes ne peuvent plus s’en passer. Avant qu’un décret publié le 28 février n’encadre enfin leur utilisation pérenne par les brigades qui le souhaitent, 98 services de polices municipales d’Ile-de-France et de l’Oise (86 et 12, respectivement) ont testé, pendant quelques semaines ou plusieurs mois, ces instruments sur le terrain, comme 296 autres communes de France.
L’expérimentation, achevée à l’été 2018, a montré de multiples atouts, selon les rapports communiqués fin mars et épluchés par Le Parisien, avec Le panier à salade (une newsletter spécialisée dans la police et la justice) et Data + Local (un collectif de journalistes).
Dans de nombreuses communes-test, pourtant, jamais n’ont été déclenchés ces petits boîtiers : par leur seule présence, les caméras mobiles, placées au niveau du buste et ne pesant pas plus de 200 grammes, apaisent les situations tendues, affirment la plupart des 54 documents consultés pour l’Ile-de-France et l’Oise. En cinq mois d’essai, à Parmain (Val-d’Oise), on s’est contenté de cet « effet dissuasif visuel ». A Savigny-sur-Orge (Essonne), où les caméras ont été portées lors d’attroupements et de rassemblements, les outrages à agents sont « devenus inexistants ».
La parole des agents accréditée
Dans les cas où la situation a dégénéré, les policiers ont vu dans ces accessoires un moyen d’attester de leur bonne foi. Un jour de juillet 2017, à Pont-Sainte-Maxence (Oise), un équipage est envoyé dans un quartier où un jeune homme roule dangereusement en moto sans casque. A leur arrivée sur les lieux, la caméra est déjà en marche. Aidé par une vingtaine de personnes qui lancent des pierres aux agents, le motard tente de fuir et abandonne sa monture mais est finalement interpellé.
Lors de son audition, il prétend que le véhicule de police a percuté le deux-roues. « La vidéo présentée à son avocat a prouvé qu’il était tombé de son véhicule par un excès de confiance », explique le rapport de la municipalité. La police fait coup double : un autre jeune est sanctionné pour avoir outragé et jeté des projectiles.
Les polices municipales semblent bien conscientes que l’outil peut être utilisé à charge comme à décharge. Néanmoins, les rapports des municipalités n’évoquent aucune extraction d’images dans le cadre d’une procédure disciplinaire. En revanche, les caméras sont utilisées pour des formations. A Melun (Seine-et-Marne), on note que la « caméra-piéton a eu une vertu pédagogique et déontologique. Puisqu’elle a permis de corriger certains comportements professionnels des agents, comme un langage non adapté ou une attitude à améliorer ».
Vu comme un instrument de surveillance des équipes, le dispositif a parfois été accueilli avec méfiance, comme le raconte au Parisien le chef de la police intercommunale d’Épône - Mézières-sur-Seine - Nézel (Yvelines). « J’étais contre. Nous sommes déjà assermentés et agréés, c’était encore mettre en doute la parole des policiers. Le maire nous a dit que c’était, au contraire, pour prouver que nous sommes dans le droit chemin », explique Grégory Bion.
Préserver les indices
A l’usage, le policier des Yvelines observe que les caméras sont d’une grande utilité pour la préservation des traces et des indices, en particulier lors des interventions les plus délicates et inhabituelles. Si bien que, conquise, son équipe utilisera très ponctuellement les caméras après la fin de l’expérimentation. Comme en décembre dernier, lorsqu’une mère appelle, paniquée, après avoir eu au téléphone son fils qui, dit-elle, joue avec un couteau chez lui. « Au départ, nous pensons à quelqu’un qui donne des coups de couteau : si nous sommes agressés, il faut pouvoir démontrer que notre légitime défense était bien applicable. »
Ne sachant pas à quoi s’attendre, Grégory Bion déclenche donc la caméra une fois arrivé sur les lieux : « Je casse la porte et je me trouve dans un appartement qui est maculé de sang. Nous retrouverons le corps un peu plus loin. Le jeune avait sauté par-dessus le balcon. Il s’était suicidé, coupé la gorge et poignardé très violemment au niveau du ventre. Nous avons tenté de lui porter secours tant bien que mal, mais il mourra dans nos bras. »
A ce moment-là, l’équipe n’exclut pas qu’il puisse s’agir d’un homicide. Choqués à l’arrivée du procureur et de la police criminelle, les policiers municipaux leur confient les caméras. « Nous leur avons dit : Vous verrez qu’on n’a pas pollué la scène avec empreinte. Ça les a rassurés. Ils nous les ont rendues quelques semaines plus tard avec les félicitations. Ils ont vu que nous avons fait preuve de sang-froid lors de l’intervention. »
Quelques bémols
Si des communes se limitent à une caméra par équipage, d’autres comme Epône en attribuent une à chaque policier, afin d’éviter que le porteur d’un unique appareil se trouve trop loin de la scène pour capter sons et images. La ville de Saint-Mandé (Val-de-Marne) s’est ainsi dotée de 25 caméras mobiles pour autant d’agents. Au regard des six enregistrements effectués en neuf mois d’expérimentation, l’investissement de 7875 euros HT peut sembler élevé, mais il est pris en charge pour moitié par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).
Évidemment, la mise en place des caméras n’a pas été, par endroits, sans quelques aléas techniques. À Bois-Colombes (Hauts-de-Seine), les images de l’interpellation d’un mari violent, demandées par l’Officier de police judiciaire « n’ont pu être exploitées, un problème technique ayant occasionné l’effacement des données ». À Brétigny-sur-Orge, les engins ont été hors service toute la durée de l’expérimentation.
Autant gendarmes et policiers nationaux disposent d’un modèle unique (Allwan Security), autant l’éventail à disposition des agents municipaux est large, ce qui a pu générer quelques frustrations sur les spécificités techniques.
Bien que le cadre juridique ait été précisé avec le récent décret, un flou réside sur certaines pratiques. Lors de l’expérimentation, la police municipale de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) a déclenché systématiquement les caméras « dès qu’un mis en cause appréhendé (faisait) l’objet d’un transport au commissariat ».
Or, Jacques Toubon, Défenseur des droits, a rappelé l’an dernier que le dispositif n’était alors prévu que « pour un usage sur la voie publique et à des fins d’apaisement ». Quelques jours avant que la loi du 3 août 2018 ne permette de filmer « en tous lieux », il recommandait au ministère de l’Intérieur « d’engager une réflexion sur l’emploi d’une caméra mobile dans un espace clos ». Une « vidéosurveillance » qui selon lui ne disait pas son nom.
source : le parisin